
Nicolas, 24 ans, pousse la porte de mon cabinet, envahi par une angoisse persistante. Depuis plusieurs semaines, il ne dort plus, a perdu l'appétit, et se sent en permanence sur le qui-vive, ponctué par des crises de panique. Ce mal-être profond est alimenté par des ruminations incessantes. Lorsqu'il commence à raconter son histoire, les larmes envahissent son visage. Il est en couple depuis l'adolescence avec Anna. Pour lui, Anna est la femme de sa vie. Pourtant, un épisode de son passé le hante : à 17 ans, il a commis une terrible erreur : il a eu une aventure avec une autre fille. Bien sûr, il lui a tout avoué, et elle a tourné la page. Et durant quelques années, il a pu vivre avec cela. Mais ce souvenir vient de refaire surface il y a 3 mois environ. Et depuis, il le harcèle jour et nuit suscitant des pensées de culpabilité. Nicolas ne cesse plus de se dire qu'il est une personne horrible, indigne d'Anna.
Nicolas est emprisonné dans une spirale dans laquelle il tente de chasser les pensées qui le harcèlent... or, plus il les chasse, plus elles semblent revenir au galot, bien décidées à le faire souffrir !
Pourquoi notre cerveau nous fait-il autant souffrir ?
La culpabilité fait souffrir, c'est sûr. Et pourtant, elle est si utile ! Imaginons un instant un monde où les pires bandits ressentiraient plus de la culpabilité... Aurions autant de guerres, d'injustices et de destruction de notre écosystème ? La culpabilité est donc une émotion très utile puisqu'elle nous encourage à repérer nos erreurs, à les réparer si c'est possible et à nous éviter de les commettre à nouveau. Mais la culpabilité de Nicolas prend des allures de prison dont il ne peut sortir. Elle le maintient dans une sorte de tribunal imaginaire où il fait face à un procureur implacable qui énumère sans relâche ses fautes, sans qu'aucun avocat ne prenne la parole pour le défendre.
Changer de stratégie face à la culpabilité
Au cours de notre première séance, je questionne Nicolas afin de comprendre comment il réagit face à ces pensées et souvenirs. Je constate que ces pensées, et les émotions et sensations associées (tachycardie, boule dans la gorge, etc.) sont si éprouvantes que Nicolas tente de les repousser en s'occupant l'esprit. Si cette stratégie lui procure un soulagement temporaire, elle ne résout rien sur le long terme. La culpabilité revient toujours, toujours plus oppressante.
Lorsqu'une stratégie s'avère inefficace après de multiples tentatives, il semble évident qu'il convient d'en changer. Je lui suggère alors une nouvelle approche : plutôt que fuir ses émotions, je suggère à Nicolas de les accueillir. Je lui prescris alors un exercice quotidien : pendant une demi-heure chaque jour, il devra laisser libre cours à ses pensées liées à la culpabilité. D'abord, il notera tous les arguments du procureur qui l'accuse. Il est probable qu'il se sente mal durant l'exercice et il devra être fort. Ensuite, il fera intervenir son avocat intérieur pour contre-argumenter à chaque accusation. Il fera cet exercice tous les jours durant une semaine. Le 8è jour, il pourra faire un point et évaluer objectivement sa responsabilité afin de définir quelle « sentence » devrait encore lui être imposée pour expier sa faute.
Une transformation en 15 jours
Lorsque Nicolas revient deux semaines plus tard, il est méconnaissable. Il s'est astreint à l'exercice avec beaucoup d'assiduité. Ses angoisses ont disparu, et bien qu’il estime toujours avoir fauté, sa culpabilité n’est plus accablante. Il me confie que l'exercice l’a aidé à revoir la situation avec un regard plus objectif. Interrogé sur une éventuelle sanction, il répond avoir déjà assez souffert en se morfondant ces derniers mois et que si sa copine est capable de le pardonner, il devrait pouvoir en faire de même.
Nicolas repart serein, allégé du fardeau qui l'écrasait et je suis satisfaite d'avoir pu l'y aider.
Que s'est-il passé ?
L’exercice a permis à Nicolas de réaliser un virage à 180° par rapport à sa réaction initiale : Au lieu de repousser ses pensées et sa culpabilité, il a choisi de les accueillir pleinement. Cet exercice, bien que peu agréable, a permis à son émotion de faire son œuvre. Les recherches sur les émotions ont démontré qu’une émotion refoulée ne nous laisse jamais en paix, et il est donc logique que, grâce à cet exercice, Nicolas ait pu accueillir sa culpabilité, lui permettant ainsi de la laisser se dissiper. Au lieu de la fuir, il l’a acceptée, ce qui lui a permis de mieux la comprendre et, finalement, de s’en libérer. Ceci illustre le pouvoir de l’accueil des émotions et la façon dont ce processus peut transformer profondément la manière dont nous vivons nos sentiments, même les plus pénibles.
La prise en charge de Nicolas n'aura duré que deux séances. Les résultats ne sont pas toujours aussi rapides mais cette expérience témoigne de l'efficacité de la thérapie brève systémique : lorsqu'un patient est prêt à s’investir pleinement dans le processus, les résultats peuvent être rapides et significatifs. Pour le plus grand plaisir du patient... et de sa psychologue ! :-)
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