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  • 18 janv.
  • 4 min de lecture

Dernière mise à jour : 19 janv.



Nicolas, 24 ans, pousse la porte de mon cabinet, envahi par une angoisse persistante. Depuis plusieurs semaines, il ne dort plus, a perdu l'appétit, et se sent en permanence sur le qui-vive, ponctué par des crises de panique. Ce mal-être profond est alimenté par des ruminations incessantes. Lorsqu'il commence à raconter son histoire, les larmes envahissent son visage. Il est en couple depuis l'adolescence avec Anna. Pour lui, Anna est la femme de sa vie. Pourtant, un épisode de son passé le hante : à 17 ans, il a commis une terrible erreur : il a eu une aventure avec une autre fille. Bien sûr, il lui a tout avoué, et elle a tourné la page. Et durant quelques années, il a pu vivre avec cela. Mais ce souvenir vient de refaire surface il y a 3 mois environ. Et depuis, il le harcèle jour et nuit suscitant des pensées de culpabilité. Nicolas ne cesse plus de se dire qu'il est une personne horrible, indigne d'Anna.

Nicolas est emprisonné dans une spirale dans laquelle il tente de chasser les pensées qui le harcèlent... or, plus il les chasse, plus elles semblent revenir au galot, bien décidées à le faire souffrir !


Pourquoi notre cerveau nous fait-il autant souffrir ?

La culpabilité fait souffrir, c'est sûr. Et pourtant, elle est si utile ! Imaginons un instant un monde où les pires bandits ressentiraient plus de la culpabilité... Aurions autant de guerres, d'injustices et de destruction de notre écosystème ? La culpabilité est donc une émotion très utile puisqu'elle nous encourage à repérer nos erreurs, à les réparer si c'est possible et à nous éviter de les commettre à nouveau. Mais la culpabilité de Nicolas prend des allures de prison dont il ne peut sortir. Elle le maintient dans une sorte de tribunal imaginaire où il fait face à un procureur implacable qui énumère sans relâche ses fautes, sans qu'aucun avocat ne prenne la parole pour le défendre.


Changer de stratégie face à la culpabilité

Au cours de notre première séance, je questionne Nicolas afin de comprendre comment il réagit face à ces pensées et souvenirs. Je constate que ces pensées, et les émotions et sensations associées (tachycardie, boule dans la gorge, etc.) sont si éprouvantes que Nicolas tente de les repousser en s'occupant l'esprit. Si cette stratégie lui procure un soulagement temporaire, elle ne résout rien sur le long terme. La culpabilité revient toujours, toujours  plus oppressante.


Lorsqu'une stratégie s'avère inefficace après de multiples tentatives, il semble évident qu'il convient d'en changer. Je lui suggère alors une nouvelle approche : plutôt que fuir ses émotions, je suggère à Nicolas de les accueillir. Je lui prescris alors un exercice quotidien : pendant une demi-heure chaque jour, il devra laisser libre cours à ses pensées liées à la culpabilité. D'abord, il notera tous les arguments du procureur qui l'accuse. Il est probable qu'il se sente mal durant l'exercice et il devra être fort. Ensuite, il fera intervenir son avocat intérieur pour contre-argumenter à chaque accusation. Il fera cet exercice tous les jours durant une semaine. Le 8è jour, il pourra faire un point et évaluer objectivement sa responsabilité afin de définir quelle « sentence » devrait encore lui être imposée pour expier sa faute.


Une transformation en 15 jours

Lorsque Nicolas revient deux semaines plus tard, il est méconnaissable. Il s'est astreint à l'exercice avec beaucoup d'assiduité. Ses angoisses ont disparu, et bien qu’il estime toujours avoir fauté, sa culpabilité n’est plus accablante. Il me confie que l'exercice l’a aidé à revoir la situation avec un regard plus objectif. Interrogé sur une éventuelle sanction, il répond avoir déjà assez souffert en se morfondant ces derniers mois et que si sa copine est capable de le pardonner, il devrait pouvoir en faire de même.

Nicolas repart serein, allégé du fardeau qui l'écrasait et je suis satisfaite d'avoir pu l'y aider.


Que s'est-il passé ?

L’exercice a permis à Nicolas de réaliser un virage à 180° par rapport à sa réaction initiale : Au lieu de repousser ses pensées et sa culpabilité, il a choisi de les accueillir pleinement. Cet exercice, bien que peu agréable, a permis à son émotion de faire son œuvre. Les recherches sur les émotions ont démontré qu’une émotion refoulée ne nous laisse jamais en paix, et il est donc logique que, grâce à cet exercice, Nicolas ait pu accueillir sa culpabilité, lui permettant ainsi de la laisser se dissiper. Au lieu de la fuir, il l’a acceptée, ce qui lui a permis de mieux la comprendre et, finalement, de s’en libérer. Ceci illustre le pouvoir de l’accueil des émotions et la façon dont ce processus peut transformer profondément la manière dont nous vivons nos sentiments, même les plus pénibles.


La prise en charge de Nicolas n'aura duré que deux séances. Les résultats ne sont pas toujours aussi rapides mais cette expérience témoigne de l'efficacité de la thérapie brève systémique : lorsqu'un patient est prêt à s’investir pleinement dans le processus, les résultats peuvent être rapides et significatifs. Pour le plus grand plaisir du patient... et de sa psychologue ! :-)

 
 
 
  • 18 nov. 2023
  • 9 min de lecture

Dernière mise à jour : 23 nov. 2023


Je rencontre régulièrement des parents pour des motifs liés aux colères de leur enfant. Lorsque je les questionne sur les raisons qu'ils attribuent à ces colères, ils suggèrent la plupart du temps l'hypothèse d'un trouble du développement ou des difficultés émotionnelles. Si de tels cas de figure ne sont en effet pas à exclure, dans la majorité des cas, l’enfant ne présente en réalité aucun trouble. Quelle en est alors la cause et comment intervenir ? Voici un exemple illustratif issu de ma consultation :


« Crises de colères, agressivité et difficultés de gestion émotionnelle »… tel était le motif de consultation que m’avait laissé la maman de Lola, 4 ans, dans son formulaire de prise de rendez-vous. Lors d'une première consultation relative à un enfant, je demande généralement aux parents de venir seuls. Il ne s’agit pas d'exclure l'enfant mais surtout de permettre aux parents de me faire un topo de la situation en toute transparence sans susciter d’inquiétude chez leur petit ou de déclencher chez lui une méfiance à mon égard.


Or, ce jour-là, aucune solution de garde n’avait pu être trouvée par cette maman. Elle avait donc donné à Lola la consigne de nous attendre dans ma salle d’attente durant le début de l’entretien. Pour lui permettre de patienter agréablement, elle avait emporté les livres préférés de Lola. A leur arrivée, la maman désigne un siège à Lola et lui dit :

- « Voilà, ma puce, tu peux t’assoir là ! Voici tes livres et ton jus de pomme. Maman va dans la pièce à coté avec la dame. Tu attends là, comme on a dit dans la voiture, ok ? »

Ignorant leur accord préalable, Lola se met aussitôt à implorer :

- « Nooooon, Mamaaaaaaan ! A bras ! A bras ! »

S’ensuivent alors de longues minutes de négociations ponctuées de « mamaannn », de « avec toi », de « non », de « on était d’accord », de « tu ne vas pas encore commencer », de « allez, regarde les beaux livres », de « je dois faire pipi », de « ok, mais après, tu restes là sagement », etc.

A l’issue de ce pourparler, Lola finit par porter son attention sur un des livres, nous laissant alors enfin l'opportunité d'entrer dans mon bureau. La fatigue de cette maman se lit sur son visage. Elle m’explique : « Lola est infernale ! Elle nous en fait voir de toutes les couleurs. Nous n’en pouvons plus. Elle se met dans des colères noires dès qu’elle est frustrée, se rebelle, refuse d’aller au lit, de faire ses devoirs, de ranger ses jouets, etc… il lui arrive même de nous frapper. Nous n’osons plus aller au restaurant, ou même faire les courses avec elle. Nous ne comprenons pas. Sa grande soeur n’a jamais été comme cela ! Est-ce qu’elle a un problème ? Un trouble ? On est tous épuisés ! »


Quelques minutes après le début de notre échange, un bruit de porte nous interrompt et un petit visage apparait : « Mamaaan, je veux venir près de toi. Un câlin !!! ». Sa maman se lève alors, tente de la raisonner : « Non, Lola, on était d'accord. C'est fini maintenant, tu te calmes ! Je ne veux plus t'entendre ! On a dit que tu devais attendre sur la chaise. Quoi ? Tu as faim ? Ahlala, attends, j’ai quelque chose pour toi dans la voiture. Je vais le chercher. Reste là. » Sa maman revient avec un goûter qu’elle lui tend. Les pleurs de Lola s'interrompent aussitôt et sa maman peut alors revenir dans mon cabinet et poursuivre notre échange.


Au fil de son récit, je comprends tout d’abord que ce comportement est spécifique à la sphère familiale. A l’école, Lola est un ange ! Oui, oui, un ange : Elle se plie parfaitement aux règles et son enseignante n’a aucun problème à évoquer en ce qui la concerne. Cette attitude à géométrie variable en fonction du contexte est rassurante : elle indique que Lola est capable d'adapter son comportement à la situation.

Je constate que les situations vécues à la maison sont à l’image de ce à quoi je suis en train d’assister : Papa ou Maman donnent une consigne à Lola, qu’elle respecte ou non, selon son envie du moment. Lorsqu’elle n’est pas d’accord, elle commence par négocier. Et si les négociations n'aboutissent pas, elles se transforment rapidement en crises de colères impressionnantes. Ces crises sont bien sûr difficiles à supporter pour toute la famille. Ses parents s’attellent donc à y mettre fin en déployant de grands efforts de créativité : livres, goûters, jeux divers, etc.

Et la colère finit par cesser.

La méthode est donc efficace, puisqu'elle permet en effet de mettre fin aux colères. Très efficace même, il faut bien l'admettre. Le revers, c’est que cette efficacité est de courte durée : la prochaine frustration fera l’objet d’une nouvelle colère, et donc de nouvelles épuisantes négociations.

« Pourquoi donc n’écoute-t-elle pas du premier coup !!?? », implore sa Maman.


Alors que nous échangeons depuis quelques minutes, un bruit de clenche de porte nous interrompt à nouveau : Lola passe la tête « Maman, je veux venir près de toi ». Sa maman me regarde, avec des yeux traduisant « Est-ce qu’elle ne pourrait pas entrer à présent ? », mais je ne réagis pas. La négociation reprend alors. Lola finit par retourner s’assoir. Puis au bout d’une minute… se met à frapper à la porte sans s'interrompre, et ce de plus en plus fort.

Constatant le regard désespéré de sa maman, je propose d’intervenir. J’ouvre alors la porte, me mets à hauteur de Lola et lui dit ceci : « Lola, je comprends que tu ne sois pas contente. C'est vrai que ce n'est pas très amusant de rester là à nous attendre. Mais Maman a été claire avec toi : tu ne pourras entrer que quand elle viendra te chercher, pas avant. D’ici là, tu peux t’occuper avec tes livres. C’est comme ça et ce n’est pas parce que tu réclames Maman que ça va changer. Mais, je comprends que ça te mette en colère, et que ça te donner envie de frapper cette porte. C’est normal. Donc si ça te fait du bien, tu peux continuer à frapper. Tu peux même le faire plus fort encore ! OK ? Mais pour entrer, il faudra attendre que Maman vienne te chercher. Tu as compris ? A tout à l’heure, ma puce. »


Je referme la porte. De l’autre côté, Lola applique aussitôt mon conseil et se met à frapper la porte avec vigueur… Au point que j’avoue m’inquiéter pour le sort de cette pauvre porte. Le vacarme ne nous permet plus d’échanger. Je lis l’inquiétude dans le regard de la maman de Lola et je la rassure en lui demandant de me faire confiance. Au bout d’une minute (qui certes, nous semble une éternité), le bruit s’interrompt et fait place au calme. Notre échange peut reprendre sereinement jusqu’à son terme. A l’issue de notre entretien, la maman de Lola ouvre la porte et écarquille les yeux : Lola est sagement assise sur la chaise et dévore un des livres qu’elle a emporté.


Que s’est-il passé ?


Le point de départ : la frustration. "Frustration : Privation d’un avantage sur lequel on croit pouvoir compter." (Le Robert, 2023). Par nature, une frustration est donc toujours un vécu désagréable. Qu’un enfant témoigne son désaccord lorsqu’il est frustré est donc normal, et même sain. Là où le bât blesse, c'est quand il commence à le faire au travers d’un comportement vécu comme « aversif » par le parent (négociation, insistance, cris) lequel sera alors tenté de tout mettre en oeuvre pour y mettre fin (et on le comprend). Et c'est bien là que le cercle vicieux s'enclenche : Tout d’abord, en proposant un goûter, un câlin, ou même en le grondant, le parent récompense l’enfant.

En le grondant, il récompense l’enfant ??? Et oui, certains enfants sont si habitués aux fréquentes réprimandes de leurs parents qu'ils ne les entendent plus vraiment. A l'inverse, ils le vivent comme un témoignage d’attention… et donc, quelque chose de plaisant. Mieux vaut ça qu'être ignoré ! L’enfant retiendra alors de cette expérience, que la crise de colère est une méthode efficace pour atténuer sa frustration… et il ne l’oubliera pas.

Par ailleurs, en imposant à l’enfant de mettre fin à sa colère ("Tu arrêtes ! Tu te calmes ! etc."), le parent en oublie que cette colère n’est pas feinte : il est VRAIMENT envahi par l’émotion ! Si en tant qu’adulte, nous avons bien conscience que la vie est faite de frustrations et qu’il nous faut les accepter, ce n’est pas le cas d’un enfant. Et sa colère en est le reflet. Par conséquent, lui demander de réprimer cette émotion qui s’impose à lui représente une frustration supplémentaire (celle de ne pas être autorisé à l’exprimer) qui attisera plus fort encore les flammes de son énervement... Un peu comme tenter d'éteindre un feu avec de l’huile.


Ainsi, en disant à Lola que je comprends qu’elle soit frustrée, qu’elle a le droit d’être en colère et de l’exprimer, j'accueille son émotion et je l’autorise à en faire autant et à s’en libérer. Aussi, en me gardant d’intervenir, je me garde également de récompenser son comportement d'insistance. J’ai posé un cadre bienveillant à Lola : Elle retiendra que les règles sont inflexibles et que les émotions qu’elles suscitent sont normales et bienvenues.


A l'issue de notre entretien, j'encourage donc la maman de Lola à adopter la même attitude à l'avenir : une main de fer dans un gant de velours. Des règles fermes. Une colère autorisée, voire encouragée. Oui, mais si elle est violente ? La violence fait partie des comportements inacceptables. On la conduira alors quelque minutes dans sa chambre (time-out) où l'attendra son coussin de la colère pour y évacuer toute son énergie.


Un mois plus tard, la maman de Lola revient me voir : Elle et son compagnon ont appliqués mes conseils méthodiquement. Et la situation s’est complètement normalisée : Lola ne fait plus de colères et se montre beaucoup plus agréable. Toute l’ambiance familiale est apaisée !


Qu’est-ce qui a permis des changements aussi rapides ? Le fait que les parents aient fait preuve d’une grande consistance dans l’application de mes conseils. Lola a très vite compris que la négociation et les démonstrations de colère n’étaient plus des moyens efficaces d’obtenir une récompense et que le cadre posé n’est plus flexible. Ce faisant... Lola n’avait plus de raison d’insister. Aussi, en laissant Lola extérioriser sa colère, celle-ci s'apaisait bien plus rapidement.


La difficulté des parents d’aujourd’hui est liée au fait qu’ils sont soumis à des injonctions très (trop) nombreuses et parfois même contradictoires : Nous devons être disponibles pour nos enfants, les allaiter, leur proposer des activités extrascolaires, leur organiser des goûters d’anniversaire dignes de ce nom, leur donner 5 fruits et légumes par jour, passer du temps de qualité avec eux, être à l’écoute de leurs émotions, etc., etc.

Ces recommandations sont, bien sûr, chargées de bonnes intentions, mais elles ont tendance à laisser sous-entendre aux parents que leur bon sens de parent n’existe plus. Que sans ce guide de référence du bon parent, ils sont incompétents. Que leur instinct doit être mis de côté. Au point que je rencontre de nombreux parents complètement perdus dans le comportement à adopter avec leur enfant. Ajoutez à cela des journées de travail longues et fatigantes, des trajets dans les embouteillages, un repas à préparer au retour et des bains à donner... et vous obtenez des parents complètement épuisés qui ne savent plus à quel saint se vouer ! Epuisés, et ne sachant plus quelle attitude adopter, ils hésitent ou cèdent au négociations de leur petit tyran... Et ce faisant, négligent peut-être un des éléments les plus important en éducation : le cadre !


Vivre aux côtés d’un parent fixant un cadre, des règles, des limites peut être frustrant pour l’enfant, c'est vrai. Mais c'est aussi, et on a peut être tendance à l'oublier, extrêmement rassurant ! Car derrière la frustration des « 30 minutes d’écran et pas 31 », se cache la force, la solidité du parent protecteur, celui qui est à l’heure à la sortie de l’école, celui qui tient ses promesses, celui qui protège. A ses côtés, l’enfant apprendra à faire confiance et à être digne de confiance. Il apprendra aussi qu’une règle est nécessaire à la vie en société et ne se négocie pas, qu’un « Non » est « Non »… combien de délits, de viols, seraient ainsi évités si chaque citoyen avait ce type de principe solidement inscrit en lui ?

On pourrait aussi se demander si vivre des frustrations n'est pas au fond une bonne chose pour un enfant ? En effet, qu'on le veuille ou non, la vie est faite de frustrations auquelles l'enfant sera tôt ou tard confronté. N'est-il pas de notre devoir de parents que d'apprendre à nos enfants à faire à face à cette réalité de la vie ?


Poser un cadre, ce n’est pas faire preuve d’autoritarisme. C’est permettre à l’enfant d’anticiper ce qui va se passer. De connaître les conditions dans lesquelles il pourra évoluer gaiement, en toute insouciance, avec la garantie que tant qu’il respecte les règles, il sera en sécurité !


Pourquoi Lola, démon à la maison, était-elle un ange à l’école ? Parce que l’école pose un cadre strict, des règles précises auxquelles les enfants doivent se soumettre. Et parce que Lola est une petite fille intelligente qui avait très bien compris que faire entorses aux règles de l’école ne lui apportait aucun bénéfice... contrairement à ce qui se passait à la maison.


Tant qu’elle gagnait, pour quelle raison aurait-elle arrêté de jouer ?




 
 
 

Dernière mise à jour : 10 janv. 2023


"Ma mère est morte. C'était un lundi. Un infarctus foudroyant. Tout d'un coup, tout bascule. Comme si le sol ferme qui m'avait portée jusqu'ici se dérobait sous mes pieds, sans m'avoir laissé le temps de m'y préparer. A quoi m'accrocher à présent pour rester debout ? Tout d'un coup l'insouciance et la joie de vivre qui m'habitaient font place à une douleur et une colère indescriptible. Puis à une solitude intense... liée à la perte bien sûr et à cette détresse que je suis seule à ressentir aussi intensément, et puis il y a les "proches"... Ils sont présents autours des obsèques et ça fait énormément de bien. Mais une fois ce moment passé, ils reprennent le cours de leur vie. Et le sujet devient une affaire classée... un tabou même. On ne vous demande plus comment vous allez. On évite même le sujet. Comme si rien ne s'était passé. Comme si ce que l'on vit comme un séisme, était finalement assez anodin. J'imagine qu'ils ont du mal à savoir quoi faire, quoi dire. Je ne leur en veux pas. Mais c'est dur.". (Marie, 37 ans)


Bien que regrettable, ce manque de soutien social décrit dans le témoignage de Marie (prénom d'emprunt) est plus souvent la règle que l'exception quand il est question de deuil. Très fréquemment, les personnes endeuillées se plaignent de voir leurs amis les fuir ou le téléphone cesser de sonner. Et lorsque les relations sont maintenues, le sujet du défunt passe sous silence. A la peine du décès s'ajoute celle liée à un entourage en apparence indifférent. Qu'elle soit réelle ou ressentie, cette indifférence est difficile à vivre pour la personne endeuillée puisqu'elle ajoute de la peine à la peine et accroit le sentiment de solitude déclenché par la perte de la personne aimée.


Pourquoi le sujet du deuil, est-il si difficile à aborder ?

Un premier élément de réponse est sans doute issu de cette idée que les larmes suscitées par l'évocation de la mort ravivent la blessure, un peu comme un feu sur lequel on jetterait de l'huile. Les larmes reflètent en effet une manifestation émotionnelle. Or, il est dorénavant bien accepté qu'accueillir ses émotions permet petit à petit de les apaiser, alors qu'à l'inverse, les refouler les exacerbe. Les larmes ne sont donc pas à diaboliser. Bien au contraire puisqu'elles contribuent progressivement, à éteindre les braises de la souffrance... et non à les attiser !

Un second élément vient du fait que face à la souffrance d'autrui, notre réflexe premier est de proposer des solutions. Mais quelle solution y a-t-il à proposer quand il s'agit de la mort ? Ne sachant que dire, nous préférons alors éviter le sujet. Or, et il est n'est pas nécessaire d'être endeuillé pour cela, nous avons tous déjà vécu les bienfaits ressentis par l'expression de nos états d'âme à une oreille bienveillante. Et ce, même lorsqu'il n'y a aucune solution à l'horizon ! D'où vient ce soulagement dans ce cas ? Juste du fait que l'écoute chaleureuse d'une personne capable d'accueillir notre souffrance contribue à elle seule grandement à l'alléger. Car cette personne, parfois plus dans son attitude que dans ses mots, est capable de nous dire "Je comprends ce que tu vis. C'est terrible. Je suis là pour toi." Le deuil n'est pas différent de cela.


La peur de susciter l'émotion ainsi que l'absence de solution à proposer met donc très mal à l'aise et encourage la plupart du temps l'entourage à éviter le sujet. Démunis, certains s'essaient parfois à quelques conseils tels que "tu dois tourner la page", "il faut aller de l'avant" ou tentent de consoler à coup de "ça va aller". Ces propos veulent bien faire mais ils donnent l'impression à l'endeuillé qu'il n'a pas le droit à son chagrin ou que celui-ci est mineur et facilement surmontable. Or, faire un deuil n'est pas tourner une page. On ne tourne pas la page des êtres qui furent les plus importants dans nos vies. Au mieux, pouvons-nous peu à peu « apprivoiser leur absence ». Cela prend du temps (souvent au moins un an) et beaucoup de larmes. Et c'est parce que cela prend du temps que les endeuillés n'éprouvent pas seulement le besoin d'être entourés au moment du décès mais tout au long de ce processus de cicatrisation qu'est le deuil. Ils ont besoin de sentir de la chaleur, de la bienveillance, de l’affection, de l’humanité pour les aider à panser cette inhumanité qu’est souvent la mort d’un très proche (1).


Peut-être avez-vous des personnes endeuillées parmi vos proches. Sans aucun doute en aurez-vous. N'hésitez jamais à leur parler du défunt, de leur cheminement, de leurs ressentis. Nul besoin de questions complexes. De simples"Comment te sens-tu?", "Où en es-tu ?" suffiront à l'endeuillé à se sentir accueilli pour s'exprimer dans la bienveillance. Ecoutez sans interrompre, avec chaleur, sans juger, ni conseiller. Légitimez la souffrance vécue. Posez des questions ouvertes. Ne craignez pas les larmes ! Elles sont normales, nécessaires même, et seront vécues bien moins douloureusement que le sentiment de solitude ressenti si vous évitez le sujet. Au final, ce que retiendra l'endeuillé de cet échange, c'est votre empathie. C'est la sensation d'être entouré malgré le vide laissé. Cette même sensation qui lui donnera confiance et espoir pour avancer et retrouver une nouvelle stabilité après le séisme.


"Parler de ses peines, c’est déjà se consoler."

Albert Camus





(1) Beauthéac, N. (2015). Les besoins et les attentes des personnes endeuillées. Jusqu'à la mort accompagner la vie, 121(2), 37-42.




 
 
 
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